Miroir de deux mouvements majeurs
(On vous explique pourquoi le Street Art est LE grand mouvement de notre génération et pourquoi il serait dommage de passer à côté ! )
A cent ans d’intervalle, l’Impressionnisme et le Street Art se répondent et se font écho. Comme si l’on décidait d’adapter en une version contemporaine un chapitre de l’Histoire de l’art, l’histoire du Street Art semble parfois familière.
Flashback sur les impressionnistes
Les impressionnistes sont les premiers artistes à sortir sur le terrain, à abandonner leur atelier et leur confort pour peindre exclusivement « sur le motif[1] ». En changeant d’environnement, l’artiste s’impose de nouvelles contraintes et cela entraine indubitablement des techniques nouvelles. La peinture doit être exécutée rapidement si l’artiste veut saisir la lumière à l’instant où il la regarde. Il n’a plus le temps de mélanger les couleurs sur la palette ni même sur la toile. C’est en 1874 que le terme « Impressionnisme » voit le jour suite aux railleries des critiques d’art devant l’œuvre de Monet intitulée « Impression, Soleil Levant ». La rupture avec l’académisme finit par être peu à peu acceptée à partir de la fin du XIXème siècle après une lutte difficile. Les critiques commencent à comprendre et reconnaître l’importance de ce mouvement.
Des échos certains
« Extérieur », « rapidité », « rupture », entendez-vous désormais les échos entre les deux mouvements ? En effet, les graffeurs s’expriment également en extérieur, à la différence qu’ils ne peignent pas « sur le motif » mais le motif directement. Leurs actions vandales demandent la rapidité du geste et de la technique. Quant à la rupture, le graff est majoritairement considéré comme une dégradation, les artistes se voient traités de délinquants aux œuvres illégitimes et indignes au marché de l’art, tout comme les impressionnistes voyaient leur peinture qualifiée par les institutions de « dérive d’un art malsain ».
La naissance du Street Art
Née à la fin des années 1960 sous forme de simples tags, la pratique consiste d’abord à inscrire son nom sur les murs et les trains de New York afin de marquer son territoire. Les tags se multipliant, il faut se démarquer par des couleurs, des ornements, un style personnel, le tag devient alors graffiti. On commence alors à pratiquer le « Style writing » : on esthétise ses lettres en leur donnant un maximum d’allure. Dans les années 1980 et 1990, le mouvement s’impose en France et on transforme l’écriture initiale en logotype, l’image devient plus forte que le nom. Les techniques se développent et apparaissent sur les murs des visages au pochoir, des collages, de la mosaïque, etc. Les messages eux-mêmes s’élargissent et font référence à l’histoire de l’art ou au monde contemporain.
L’appellation « Street Art », qui permet d’historiciser le mouvement apparaît en 2007. Elle déplait autant aux artistes du graff que le terme « Impressionnisme » n’a déplu aux acteurs du mouvement du siècle passé.
Du rejet à la reconnaissance
Le Street art s’inscrit dans une culture en perpétuelle évolution qui, en cinquante ans, n’a cessé de s’enrichir. Pour de nombreux galeristes, commissaires priseurs et autres acteurs du monde de l’art contemporain, ne pas s’y intéresser du tout serait un peu comme refaire la même erreur avec l’Impressionnisme, le plus blessant pour les artistes contemporains ayant toujours été le refus de la critique et des institutions. Monet et Renoir vécurent assez longtemps pour connaître la reconnaissance et voir leurs œuvres entrer dans les collections publiques.
C’est le cas de certains « Street artists » aujourd’hui. Le pochoiriste C215 voit en 2019 une de ses œuvres entrer dans la collection permanente du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain (MAMAC) de Nice. On assiste également à une multiplication d’expositions temporaires sur le thème de l’art urbain dans les musées nationaux. Banksy marque quant à lui les records de ventes aux enchères. On se souvient déjà en 2018 de la sensationnelle et théâtrale autodestruction partielle de « Girl with Balloon » qui atteint le record d’1,2 million d’euros, record pulvérisé en octobre 2019 avec la vente du « Parlement des singes » qui atteint 11,1 millions d’euros.
L’histoire est en train de s’écrire. Nous avons la chance de vivre le mouvement artistique du XXIème siècle, nous avons la nouvelle génération de Monet et de ses amis devant nous.
[1] Peindre « sur le motif » signifie peindre à l’extérieur, dans la nature, devant le sujet (souvent un paysage). Cette notion est fondamentale au mouvement Impressionniste. L’apparition des tubes de peinture en 1841 va permettre aux peintres de se déplacer plus aisément.